Les pièces d’échecs de Lewis, découvertes au début des années 1800 sur l’île de Lewis, sont parmi les expositions les plus célèbres du British Museum et du Musée National d’Écosse. Ces figurines en ivoire de morse sont considérées comme le trésor archéologique écossais le plus célèbre de tous les temps. Toutefois, une théorie récente suggère que ces pièces pourraient avoir une origine bien différente de celle traditionnellement envisagée, plongeant leurs racines dans la riche culture artistique de l’Islande médiévale.
Traditionnellement, il était supposé que les pièces d’échecs de Lewis avaient été sculptées à Trondheim, en Norvège, en raison de la sophistication artistique qu’elles reflètent. Cependant, le livre « Ivory Vikings » remet en question cette hypothèse en proposant qu’elles aient été créées pour l’évêque Pall de Skalholt, en Islande, vers l’an 1200 par une femme artiste nommée Margret la Habile. Cette proposition se base sur la Saga de l’Évêque Pall, qui détaille les interactions de l’évêque avec des artistes exceptionnels de son temps.
Margret, reconnue comme la meilleure sculptrice sur ivoire d’Islande, est un personnage central dans cette théorie. Selon la saga, elle avait le talent de créer des œuvres d’une finesse inégalée en Islande, un fait qui pourrait expliquer l’exquise fabrication des pièces de Lewis.
L’histoire de l’évêque Pall et de ses artistes n’était pas largement connue en dehors de l’Islande, principalement parce que la saga n’avait jamais été traduite en anglais et que beaucoup considéraient les sagas islandaises comme des œuvres de fiction plutôt que des chroniques historiques. Cependant, la Saga de l’Évêque Pall appartient aux sagas contemporaines, écrites peu après les événements qu’elles relatent, souvent par des témoins oculaires.
La crédibilité de la saga a été renforcée par des découvertes archéologiques significatives. Dans les années 1950, lors de la préparation du terrain pour une nouvelle cathédrale à Skalholt, les archéologues ont mis au jour le sarcophage en pierre de l’évêque Pall, une découverte sans précédent qui a confirmé l’exactitude de la saga. Ce sarcophage, le seul du genre mentionné dans les archives islandaises, a été trouvé avec un bâton pastoral en ivoire de morse, daté de l’époque de Pall.
La découverte du sarcophage et du bâton pastoral a non seulement validé l’histoire de l’évêque Pall mais a également mis en lumière l’existence d’une communauté artistique sophistiquée en Islande au Moyen Âge, capable de produire des œuvres comparables aux meilleures créations européennes de l’époque.
L’association de Margret la Habile avec les pièces d’échecs de Lewis, bien que non confirmée définitivement, illustre la possibilité d’une contribution islandaise significative au patrimoine artistique européen, remettant en question les perceptions traditionnelles de l’isolement culturel de l’Islande pendant cette période.
La redécouverte de l’histoire de l’évêque Pall et de ses artistes, en particulier Margret la Habile, enrichit notre compréhension de la circulation des œuvres d’art et des influences culturelles à travers l’Europe médiévale. Les pièces d’échecs de Lewis, si elles sont effectivement l’œuvre de Margret, ne sont pas seulement un trésor écossais mais aussi un témoignage de l’habileté et de la créativité des artistes islandais du Moyen Âge. Cette perspective ouvre de nouvelles voies de recherche sur les échanges culturels et artistiques dans le Nord de l’Europe et souligne l’importance de reconsidérer les contributions souvent sous-estimées de régions considérées comme périphériques.